Je l'ai déjà dit, nous ne consommons plus de lait de vache depuis 7 ans. Ce fut d'abord un choix motivé par les douleurs abdominales d'Eugénie bébé : allaitée, elle ne supportait pas les produits laitiers que je consommais. Puis ce choix a été confirmé par la diminution des allergies respiratoires de Takaya et la disparition de l'allergie aux piqûres de moustiques de Mathurin. Bref, un choix uniquement fondé sur la santé de ma famille.
Le temps passant, d'autres aspects sont venus se greffer sur mon rapport au lait de vache. Déjà convaincue qu'il n'est pas fait pour nous, humains, j'en suis arrivée en plus à le considérer sous un angle plus émotionnel. On me dira que l'argument n'a rien de scientifique, anyway c'est le mien et certainement celui d'autres mamans...
Car c'est justement parce que je suis une mère que la consommation de lait de vache, telle qu'elle existe de nos jours, m'est insupportable.
Aymeric Caron nous rappelle dans son livre le sort d'une vache laitière. Première évidence : pour avoir du lait, une vache doit avoir un petit. Comme nous.
Deuxième évidence : pour avoir un petit, la vache doit être fécondée. Comme nous. Sauf que pour la vache, c'est nettement moins charmant que pour nous : dans sa vie, elle ne rencontrera jamais le(s) père(s) de ses enfants. On l'insémine artificiellement dès qu'elle a un peu plus d'un an.
Mais c'est à la naissance du petit que l'histoire devient un vrai drame. Drame du moins pour nous, les mamans : dès que le veau naît, on le retire à sa mère. Et la vache ne supporte pas cette séparation, elle crie, elle pleure pendant des jours pour l'appeler, pour le retrouver. Elle pleure, oui. Comme moi j'aurais pleuré si on m'avait enlevé mes bébés à la naissance. Comme pleurent les jeunes accouchées qui doivent se séparer de leur bébé parce qu'il doit aller en couveuse, expérience traumatisante pas seulement pour l'angoisse relative à la santé du bébé, mais également pour la séparation mère-enfant.
À la maternité, je me souviens encore du vide en moi quand je devais laisser mon nouveau-né à la nurserie afin qu'il ait un examen de routine. Ce vide, cette angoisse irraisonnée pour moi qui savais que j'allais retrouver mon bébé dans les 10 minutes qui suivaient, la vache la ressent également. Et elle, elle ne retrouvejamais son bébé.
La suite de l'histoire est tout aussi illogique et inacceptable. Le veau, retiré à sa mère, est nourri avec des substituts à partir de poches en plastique distributrices, pendant que le lait de sa mère est récupéré pour nous, les humains.
Trois mois après la naissance du petit veau, on insémine à nouveau la vache, qui sera traite pendant sa grossesse, qui se verra à nouveau enlever son petit à la naissance, qui vivra encore et encore cette souffrance.
Une vache donne ainsi entre 4000 et 8000 litres de lait par an (le chiffre pouvant monter à 12000 litres pour certaines races). Autrefois, une vache traite à la main donnait en moyenne 2000 litres de lait par an...
Cette histoire (qui n'est pas terminée, je pourrais aussi vous parler des pis que l'on coupe à vif pour qu'ils entrent bien dans les trayeuses automatiques : j'ai allaité deux fois 3 ans, soit 6 ans de ma vie, et jamais je n'ai coupé le bout de mes seins pour qu'ils entrent dans la bouche de mes bébés) me remue profondément. Elle me colle une boule dans la gorge, elle me tord les tripes comme on dit. Le sort d'une vache laitière me donne envie de pleurer, parce qu'elle me renvoie à ma propre expérience de maman.
Pourquoi ne peut-on pas reconnaître la souffrance de cette vache lorsqu'on lui retire son veau à la naissance ? Parce que c'est de l'anthropomorphisme, disent certains : l'être humain est supérieur à l'animal (notamment la vache : c'est tellement stupide une vache, ça broute et ça rumine, ça ne sait rien faire d'autre), par conséquent l'être humain a le droit de transformer les vaches en machines à lait et à viande.
Et pourtant... comment justifier que la vache crie, pleure, appelle son bébé pendant plusieurs jours quand on le lui enlève ?
Je voudrais faire ici une citation d'Aymeric Caron :
Imaginons la (..) scène : une femme vient d'accoucher, elle est étendue sur un lit d'hôpital. Sur son sein, son enfant, ce petit être devenu le centre de son univers, qu'elle serre contre elle, caresse, et admire. Soudain, un commando fait irruption dans la chambre et lui arrache le nouveau-né, le faisant disparaître à tout jamais. Acte criminel. Barbare. La mère sombre dans la dépression ou la folie.
Imaginons maintenant que, pour cette femme, la scène se répète sans cesse. Que chaque fois qu'elle donne naissance à un nouveau bébé, celui-ci lui soit presque immédiatement confisqué. Non, justement, on ne peut pas l'imaginer. C'est pourtant bien ce que l'on fait subir aux vaches laitières que l'on engrosse à tour de bras jusqu'à ce qu'elles soient usées. Leur "vie" consiste à se faire ensemencer, à porter un veau qu'on leur enlève au bout d'un ou deux jours, et à subir ce traitement répété pendant cinq ans, jusqu'à ce qu'elles soient envoyées à l'abattoir pour finir "réformées" en steaks.
Sans revenir sur l'aspect "santé" de la consommation humaine du lait de vache, je crois que j'accepterais moralement qu'on boive du lait et mange du fromage s'il s'agissait du surplus de la production naturelle de la vache, après qu'elle ait nourri son petit. Autrement dit, la consommation du lait produit dans la ferme des mes arrières-grands-parents à l'époque où ma grand-mère était enfant me semble tout-à-fait acceptable : le veau restait avec sa mère jusqu'à son sevrage, la traite lui laissait de quoi se nourrir, et le lait récupéré pour la consommation humaine n'entravait pas sa croissance.
Les vaches chez mon arrière-grand-père ne connaissaient pas la souffrance qu'on impose aux vaches d'aujourd'hui. Dans ce cas, oui, pourquoi pas boire du lait et fabriquer du fromage.
Alors peut-être qu'aujourd'hui l'élevage bio aurait un cahier des charges suffisamment strict pour que le bien-être de l'animal soit respecté ? Je n'en crois rien. Après des recherches sur le sujet, je n'ai rien trouvé de satisfaisant. Une marque bio qui se veut très axée sur les conditions de vie des vaches laitières ne répond pas aux questions des internautes dès qu'ils demandent si le veau est oui ou non retiré à sa mère après sa naissance... Eh, on a beau faire du bio, il faut produire.
En conclusion, consommer des produits laitiers, qu'ils soient bio ou conventionnels, revient à accepter la souffrance que l'on impose aux vaches. Des mères, des mamans, qui ont des bébés, qu'on leur enlève, et qui les pleurent. Comme je pleurerais si on m'enlevait mon enfant.
Caroline
Suite de ce billet : No steak, Réflexions #1