Nous n'avons pas d'échéances de tests, pas de comptes à rendre, pas d'inspections. Pas de programme à suivre et à boucler pour passer dans l'année supérieure...
Partant de là, je suis heureuse d'aller au rythme des enfants, et de choisir moi-même ce que je juge utile ou non pour bien parler et écrire le français.
1 - Les enfants progressent à leur rythme
Eugénie a voulu apprendre à lire à 5 ans, Mathurin ne s'y était pas mis avant ses 6 ans et demi. Si j'avais forcé Mathurin à commencer avant, il n'aurait pas été prêt et cela aurait duré très longtemps. Si je n'avais pas suivi Eugénie lorsqu'elle a été motivée, on aurait raté un coche et cela aurait perturbé son apprentissage sur le moyen terme.
Pour l'un comme pour l'autre, je cerne leurs besoins / motivations / faiblesses par la pratique de la rédaction créative. Ils ont pour objectif d'écrire un texte, et à partir de ce texte, nous étudions le vocabulaire, l'orthographe, la grammaire etc.
Mathurin aime travailler sur ses posts : il rédige un post sur un sujet qui lui plaît puis nous le corrigeons ensemble. Je note les points que nous devons travailler lors de la prochaine séance de français : une révision de ceci, une initiation à telle notion grammaticale par exemple. Même si "ce n'est pas de son niveau". Il doit également recopier dans son carnet les mots qu'il a mal orthographiés, et la fois prochaine, il doit savoir les écrire correctement. C'est incroyable comme, du coup, la progression est rapide.
Et depuis quelques temps, elle travaille sur une histoire plus longue : les quelques lignes qu'elle rédige ne doivent pas être une fin ; je transmets le texte d'Eugénie à sa mamie en France, qui ajoute elle-même quelques lignes à l'histoire ; puis c'est à nouveau au tour d'Eugénie. C'est amusant, parce qu'elles ont chacune une petite idée dans la tête en faisant passer leur texte, mais l'autre n'a pas la même idée. L'histoire est donc à grand suspens...
Voilà. Pas de programme pour nous, mais de la pratique qui colle aux besoins spécifiques et aux envies de chaque enfant. Et à leur motivation, au moment où ils sont prêts. À moi donc de les observer et de construire mes séances de français (difficile de dire "cours" ou "leçons" dans ces cas-là) en fonction de chacun.
2 - À bas les mots techniques !
Un autre gros avantage de ce homeschooling indépendant, sans comptes à rendre à personne (que ce soit aux profs via le "contrôle" ou à l'école en général via les notes), c'est que je fais bien ce que je veux. Or mon opinion sur l'enseignement du français à l'école primaire (pour la suite, je ne me suis pas encore penchée sur le sujet) est que je trouve parfaitement ridicule et nocive cette manie d'utiliser des termes techniques pour décrire des notions que l'enfant a déjà du mal à cerner. J'ai par exemple découvert l'existence du "complément d'objet second". C'est une espèce nouvelle, récemment découverte, parce que je n'ai jamais appris ça à l'école (dans mon temps). Mais en ce siècle d'OGM, on peut s'attendre à ce que même la grammaire mute.
Je me souviens bien du "complément d'objet direct" ("COD", car pour compliquer encore la chose on utilise des codes secrets) et du "complément d'objet indirect". Oui, à force de les répéter, ces mots techniques ont fini par s'imposer dans mon cerveau. Eh bien Mathurin, en 5ème année soit l'équivalent du CM2, n'en a jamais entendu parler ! Et n'en entendra probablement parler que s'il décide de devenir grammairien ou linguiste. Pour le moment, il vit plutôt bien avec ceslacunes, et écrit plutôt bien le français.
Honnêtement, ça sert à quoi de savoir ce qu'est un COD ou un COI ? Pour accorder le participe passé avec être et avoir allez-vous me dire. Même pas ! On a trouvé beaucoup plus amusant et efficace !
Pourquoi, mais pourquoi faut-il faire passer les enfants par ces termes techniques ? C'est déjà pas assez compliqué comme ça ?? Ah, c'est pour simplifier ?? À d'autres, hein.
Parce qu'en fait de compte, qu'est-ce qu'on attend de nos enfants francophones ? Qu'ils sachent lire, parler, et écrire un bon français, pas vrai ? Or faut-il nécessairement savoir ce qu'est un "complément essentiel" ou un "complément circonstanciel de cause" pour avoir une jolie plume (un joli clavier) et ne pas faire de fautes ?
Ma réponse est non. Non non et non !
Tout cela me rappelle un texte d'Erik Orsenna, La grammaire est une chanson douce.
Une inspectrice vient faire une "vérification pédagogique" dans une classe où la maîtresse raconte et explique Le loup et l'agneau. Commentaire de l'inspectrice adressé à l'enseignante :
- "Je vois, je vois... De l'imprécis, de l'à-peu-près... De la paraphrase alors qu'on vous demande de sensibiliser les élèves à la construction narrative : qu'est-ce qui assure la continuité textuelle ? À quel type de progression thématique a-t-on ici affaire ? Quelles sont les composantes de la situation d'énonciation ? A-t-on affaire à du récit ou du discours ? Voilà ce qu'il est fondamental d'enseigner !"
La pauvre maîtresse essaie de se justifier devant ces attaques de "vous ne respectez pas les consignes du ministère" et avance timidement que ses élèves n'ont même pas douze ans, que c'est peut-être un peu compliqué...
Réponse de l'inspectrice :
- "Et alors ? Les petits Français n'ont pas droit à la science exacte ?"
Suite à cette scène, la petite Jeanne fera un cauchemar. Elle rêve qu'elle fait un stage :
"Le matin, on nous apprenait à découper la langue française en morceaux. Et l'après-midi, on nous apprenait à dessécher ces morceaux découpés le matin, à leur retirer tout le sang, tout le suc, les muscles et la chair.
Le soir, il ne restait plus d'elle que des lambeaux racornis, de vieux filets de poisson calcinés dont même les oiseaux ne voulaient pas tant ils étaient plats, durs, et noirâtres.
(...) Pauvre langue française ! Comment la faire évader de ce traquenard ?"
Voilà, c'est exactement l'image que me donne cette accumulation de termes techniques qui découpent le texte, la phrase, leur ôtent toute leur mélodie et leur poésie... Comment mieux inhiber le plaisir de lire et d'écrire chez un enfant ?
Voilà pourquoi j'ai décidé de zapper la majeure partie des termes techniques. Nous n'utilisons même pas les termes de "pronoms personnels", "articles définis ou indéfinis", "déterminants possessifs"... Sacrilège diront certains. Respect, dirai-je. Respect de l'enfant de 10 ans qui a déjà fort à faire pour bien accorder et bien conjuguer. Respect de mon fils qui dévore les livres, qui lit parfaitement à voix haute, qui écrit très bien le français alors qu'il ne le parle qu'à la maison et vit quotidiennement dans un environnement trilingue.
Mais je ne terminerai pas sans tirer mon chapeau à tous ces enseignants qui, comme la maîtresse du livre d'Orsenna, aiment sincèrement la langue française et font l'impossible pour que les enfants puissent avoir accès à sa mélodie malgré les "consignes du ministère".
Pour ma part, je n'ai aucun ministère à suivre sinon mon bon sens, mon cœur et les besoins propres de mes enfants en français. Et croyez-moi, j'apprécie hautement cette liberté !
Caroline